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Le e-voting, à savoir le vote et l’élection électroniques par Internet, ne laisse qu'une minorité de personnes indifférentes. Depuis maintenant presque 20 ans, la votation numérique est à l’ordre du jour politique. De multiples tentatives et projets ont été lancés, mis en place et aussi remis au placard. Dernièrement, le système de vote électronique de la Poste a fait les gros titres lorsqu’en mars 2019, il a été décidé d’interrompre le projet à cause d’erreurs de système critiques et de doutes sur la sécurité.

Encore une fois, le e-voting est donc fortement contesté: une initiative populaire visant une de facto interdiction est même en préparation actuellement. Les critiques du vote électronique reçoivent le soutien d’une partie du monde de l’informatique, le Chaos Computer Club (CCC) Suisse apparaissant notamment comme un opposant résolu. Le principal contre-argument repose justement sur les doutes en matière de sécurité. Le e-voting est susceptible en effet d’être manipulé par des pirates électroniques, les résultats d’un vote ou d'une élection pouvant être justement modifiés.

Les partisans du e-voting rétorquent que même une élection par bulletin papier classique n’échappe pas à la tricherie, et qu’il existe diverses possibilités de minimiser le risque lors d’une votation électronique. L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), qui représente les intérêts des nombreux Suisses expatriés, est entre autres en première ligne dans le combat en faveur du e-voting. Le vote électronique tient particulièrement à cœur des Suisses de l’étranger car l’éloignement engendre toujours des problèmes de distribution en temps voulu des documents relatifs à la votation. Le e-voting permettrait de voter indépendamment du temps et du lieu et donnerait ainsi aux Suisses de l’étranger l’occasion de participer facilement au processus démocratique.

En Suisse, la situation est donc assez fluctuante. Comment se présente la question ailleurs dans le reste du monde?

 

L'Estonie comme pionnière

En réalité, il n’existe guère de systèmes de e-voting établis. Divers pays comme la France, la Norvège ou l’Allemagne l’ont certes expérimenté ou en ont au moins discuté. Un petit pays, souvent occulté, endosse toutefois un rôle de pionnier: l’Estonie. Ce pays balte a été le premier au monde à lancer, déjà en 2005, un système de e-voting généralisé – et ce, on le notera, bien que cette procédure ait été initiée plusieurs années après la Suisse.


                 Tallinn, la capitale de l'Estonie | A. Palu @ Wikimedia Commons

L’approche estonienne se différencie surtout et substantiellement en un point de la démarche suisse, à savoir l’identification des votants. Pour des questions de démocratie, il faut pouvoir s’assurer que seules les personnes autorisées à voter et à élire s’expriment. Ce système fonctionne en Estonie à l’aide de la carte d’identité qui est équipée d’une puce informatique. Pour que l’électeur soit identifié, la carte est insérée dans un lecteur spécifique, et un code personnel est saisi. C'est alors seulement à ce moment-là que le votant a accès à la page où il peut voter. Pour confirmer son choix, un autre code personnel est encore requis; la saisie de ce code crypte, en d’autres termes anonymise, le vote.

Le système suisse prévoit que les votants reçoivent un code d’identification par la poste, code qu'ils doivent saisir également avant de se prononcer. Pour les partisans du vote électronique, la solution estonienne impliquant la carte d’identité n’est pas seulement plus simple, mais elle recèle aussi moins de risques de manipulation. En fait, leur solution n’a engendré aucun problème majeur jusqu’à présent, notamment aussi grâce à des contrôles permanents et à des adaptations constantes du système.

Pour les Estoniennes et les Estoniens, le e-voting est devenu une évidence. Au cours des dernières années, le nombre de personnes votant par voie numérique a constamment augmenté ; cependant, les effets sur la participation générale sont ambivalents. Quoi qu’il en soit, les Estoniens sont en tout cas fiers de leur système et de leur rôle de pionnier.

 

La blockchain comme solution en Suisse?

L’exemple de l’Estonie montre que le e-voting est possible. Pourtant, malgré ces bonnes expériences, les doutes quant à la sécurité de ce vote ne devraient pas être écartés. En raison des particularités de la démocratie suisse, une simple adoption du système estonien n’est pas envisageable.

Une solution possible pourrait toutefois venir de Zoug, surnommé «la Crypto Valley». Les systèmes s’appuyant sur la blockchain sont considérés comme particulièrement prometteurs; cette technologie a acquis dernièrement une certaine notoriété dans le buzz autour du bitcoin.

La blockchain permet de sauvegarder une information (p. ex. un «oui» à un vote, représenté par le Bloc C ci-dessous) dans ce qu’on appelle un «bloc». Chaque bloc compte un «hash» basé sur cette information sauvegardée. Ce hash sert quasiment de code d’identification et ne peut pas être modifié facilement. Un bloc est alors associé à d’autres blocs, constituant ainsi une sorte de «chaîne» ou chain. Les hash entrent en jeu pour faire le lien entre ces blocs: sur un bloc se trouve non seulement le hash propre à lui, mais en outre le hash du bloc précédent dans la chaîne. Les blocs sont donc «enchaînés» les uns aux autres.

Si un pirate électronique cherche à modifier l’information dans notre bloc C (p. ex. en faisant passer le vote de «oui» à «non»), alors le hash du bloc change également. Ce hash ne correspond alors plus au hash sauvegardé dans le bloc suivant, et la chaîne est rompue. Les manipulations peuvent ainsi être facilement repérées.

Chose géniale: la chaîne n’est pas sauvegardée de façon centralisée à un seul endroit. Des copies identiques de cette chaîne sont au contraire réparties sur de multiples serveurs. Contrairement au système actuel de la Poste, il n’existe donc pas de point central que des pirates électroniques pourraient attaquer, ce qui augmente le niveau de sécurité.

Les copies se «contrôlent» également entre elles: si une chaîne est modifiée, alors cette version ne correspond plus aux copies et est identifiée comme telle. L’information déterminante est donc celle contenue dans la pluralité des copies. Pour revenir à notre exemple, les copies où notre vote exact est sauvegardé détecteront le changement qu’un pirate électronique aura effectué en faisant passer le vote de «oui» à «non». Ainsi, nous avons, malgré cette tentative de manipulation, approuvé la proposition comme souhaité.

Cette technologie rend le système tout à fait intéressant, car une manipulation systématique, générale et surtout non identifiée de la votation devient beaucoup plus compliquée; de nombreux partisans du e-voting iraient même plus loin et diraient que le système est «rendu inviolable». Sur ce point, les critiques mettent toutefois aussi en garde contre le fait de ne pas sous-estimer les risques, car aucun système ne peut garantir une sécurité à 100%.

 

La nécessité de peser prudemment le pour et le contre

La blockchain pourrait-elle être alors la solution? En dernier lieu, il s’agit de peser scrupuleusement les avantages et les inconvénients, y compris les risques. Une discussion, menée non seulement dans le monde politique mais aussi dans la société plus large, est justement nécessaire: après tout, il s’agit de notre démocratie.

 

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